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Le monde juif vous parle
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31 janvier 2014

LA DIFFICILE RELATION DES ELEVES AVEC L'HISTOIRE DE L'HOLOCAUSTE

Source : lemonde.fr en ligne le vendredi 31 janvier 2014

 

 

Entre histoire et morale,
le malaise des élèves face
à la Shoah

 

 

 

 

L'école en fait-elle trop sur la Shoah ? L'interdiction des sketches de Dieudonné sur le génocide des juifs a suscité l'incompréhension de certains adolescents, qui disent ressentir eux aussi un ras-le-bol face à la mémoire de la Shoah. Nombre d'enseignants disent en faire l'expérience, confrontés à des jeunes – et des moins jeunes – qui mettent en avant un sentiment de « trop-plein ». L'impression que l'histoire de la Shoah, « ressassée », est le point de départ de « leçons de morale ».

Difficile pourtant de mesurer l'écho de l'« affaire Dieudonné » dans les collèges et lycées. « Rien dans ma classe, ni mauvaises blagues ni gestes provocants », assurent une majorité d'enseignants. « Rien d'inattendu », nuancent quelques-uns.

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« Dieudonné n'a pas fait ressurgir grand-chose… Tout simplement parce que les clichés sur les juifs dans mon lycée étaient déjà bien installés », témoigne François Da Rocha Carneiro, professeur d'histoire-géographie affecté depuis ses débuts – il y a dix-sept ans – dans un établissement de Roubaix (Nord) dont 80 % des élèves sont issus de familles très défavorisées. « Un tiers des gamins les relaient sans aucune forme d'autocensure », ajoute-t-il.

« LE RAPPEL DE L'HISTOIRE A SUFFI À CALMER LES ESPRITS »

Les élèves de Franck Schwab, enseignant dans un lycée de Nancy, sont plutôt issus des classes moyennes et tout aussi « imprégnés par ces clichés », dit-il. « Ils passent leur temps sur Internet et les réseaux sociaux où les blagues antisémites circulent, la théorie du complot prospère… Ils ne prennent pas ça au sérieux, ils n'ont pas conscience que la liberté d'expression a ses limites. C'est comme s'ils avaient développé une forme d'indifférence, de relativisme. »

Au point de remettre en cause l'enseignement du génocide des juifs, de chahuter les cours, voire de les contester ? Pour Hubert Tison, secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire-géographie (APHG), la polémique sur Dieudonné a ravivé des tensions dans certains établissements, en banlieue comme en centre-ville, « mais il ne faut pas en surestimer l'ampleur », insiste-t-il : « Cela ne représente pas grand-chose quantitativement, c'est très localisé, et le rappel de l'histoire et du droit a, le plus souvent, suffi à calmer les esprits. »

Les admirateurs de Dieudonné ont pourtant le sentiment que d'autres événements – la colonisation, l'immigration mais aussi le génocide au Rwanda, les conflits au Proche-Orient, en Irak ou en Syrie – ne donnent pas lieu au même traitement. Un « deux poids, deux mesures », en somme.

« QUESTION DE GÉNÉRATION »

« Du point de vue des programmes, c'est faux », répond l'historien Benoît Falaize. « L'histoire du génocide des juifs est abordée à trois moments de la scolarité et cela peut sans doute donner à certains l'impression d'une récurrence, mais c'est aussi le cas de l'enseignement de la Révolution, des deux guerres mondiales, des sujets symboliques de l'histoire nationale. »

Analyse différente de Christophe Tarricone, agrégé et formateur au Mémorial de la Shoah. « On a fait de ce sujet d'histoire un objet prioritaire d'enseignement », estime-t-il, mieux traité par exemple que les questions politiques comme la Ve République. « Outre les cours d'histoire, les élèves peuvent aussi aborder la Shoah sous l'angle mémoriel en classe de terminale ES et L, en français, et pourquoi pas en arts plastiques, en musique… Cela peut sans doute donner à certains un sentiment de déjà-vu. »

L'enseignant d'histoire ne consacre souvent que deux heures de l'année de 3e et 1e à la question. Davantage s'il prend l'initiative de visiter des lieux de mémoire ou des musées, d'inviter des témoins. « Il y a très certainement chez certains collègues la volonté d'accorder un statut particulier au sujet, reprend Benoit Falaize. C'est aussi une question de génération : ceux qui, comme moi, ont la cinquantaine, n'ont pas entendu parler de Vichy au lycée ; ils se sont fait un point d'honneur de transmettre ce passé. »

« L'OBJET HISTORIQUE EST OMNIPRÉSENT DANS LA SOCIÉTÉ »

Au risque d'en faire trop ? « On sait que des collègues s'attardent plus que d'autres sur le sujet, confirme Hubert Tison, de l'APHG, qu'ils peuvent avoir du mal à maintenir l'émotion à distance, la leur et celle de leurs élèves. » Une difficulté dont Dominique Borne, ancien doyen de l'inspection générale de l'éducation nationale, ne minimise pas les effets. « Dans nombre d'enseignements de la Shoah, ça se passe comme si on faisait une parenthèse mémorielle et morale, pour dire le bien et le mal… et le déplorer. C'est à ce moment-là qu'on s'arrête de faire de l'histoire. »

« Il faut reconnaître qu'on est dans une période particulière », explique l'historienne Annette Wieviorka, auteure d'Auschwitz, 60 ans après (Robert Laffont, 2005). « Des témoins de l'extermination des juifs sont encore parmi nous, rappelle-t-elle, des survivants, des personnes qui ont grandi sans leurs parents – Serge Klarsfeld, Boris Cyrulnik… L'événement est encore notre contemporain, il n'appartient pas tout à fait à l'histoire. »

Un point semble faire l'unanimité : si sentiment de « trop-plein » il y a, il est à rechercher aussi – et peut-être surtout – hors les murs de l'école. Dans ce que certains qualifient de « fièvre commémorative ». Dans la production cinématographique, littéraire, documentaire qui abonde. « L'objet historique est omniprésent dans la société, explique l'historien Tal Bruttmann,il se trouve mémorialisé, médiatisé, politisé et in fine sacralisé. Et quoi de plus subversif, pour un jeune, que de s'attaquer à ce que les adultes considèrent comme sacré ? »

Comment répondre quand la formation universitaire fait défaut, quand les programmes brouillent les pistes en privilégiant une approche thématique plutôt que chronologique ? « En renonçant aux images chocs, au compassionnel, au dolorisme qui paralysent la pensée, avance Iannis Roder, professeur d'histoire en Seine-Saint-Denis, lui aussi formateur au Mémorial, pour privilégier en classe le décryptage de la politique nazie. C'est ça qui aide des élèves à comprendre la centralité du sujet. C'est ça qui répond à leurs questions, même les plus provocantes… et qui suscite leur intérêt. La plupart ne sont pas idéologisés, ils répètent les lieux communs qu'ils entendent à l'extérieur. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de danger. »

Sur le terrain, tous en conviennent : le meilleur rempart contre les débordements reste la connaissance exacte des faits historiques. En somme, le « bon » cours.

 

Lire aussi : Des collégiens à Auschwitz : « Ça rend réel ce qu'on a appris »

 

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