RFI :
Un processus de paix au point mort, un rapprochement entre l’autorité palestinienne et le Hamas, la poursuite aussi des constructions israéliennes dans les colonies. Cette montée des tensions était-elle prévisible ?
Martine Gozlan : Oui, dans la mesure où il régnait de toute façon une atmosphère très glauque, aggravée par la paralysie politique. Maintenant, il y a un durcissement. Dans un premier temps, l’enlèvement et l’assassinat des trois adolescents israéliens a cristallisé une angoisse de mort dans la population israélienne. C’est vrai qu’il y a eu pendant deux semaines une émotion et une souffrance collective à laquelle nous n'avions pas assisté depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un militant ultra nationaliste d’extrême droite, un fanatique. Ensuite, il y a eu - et c’est quelque chose de terriblement nouveau - cette abominable loi du talion, avec le jeune Mohamed Abou Khdeir brûlé vif. On a appris hier de source israélienne qu’il avait été agressé, torturé et brûlé, peut-être par des extrémistes juifs. Ça c’est très grave, parce qu'effectivement, on est dans un cycle infernal.
Faut-il s'attendre, en guise de vengeance, à des actes de plus en plus brutaux de la part de juifs extrémistes ?
Le problème, c’est qu'on est maintenant des deux côtés de la route. Du côté juif comme du côté palestinien, on est dans une espèce de parallélisme terrifiant. Mais je dois quand même rappeler qu’Israël est un Etat de droit, que le meurtre abominable du jeune Mohamed Abou Khdeir a été dénoncé par toutes les institutions, par le gouvernement, que Benyamin Netanyahu a appelé le père, la famille du jeune Palestinien, pour lui dire que tout serait fait pour que justice soit rendue et pour que les assassins, les coupables, soient punis. Il y a donc un Etat de droit. L’enquête de police n’a pas dissimulé l’origine des suspects. Il y a une enquête en cours. Il y a eu à Hadera, dans le nord, une manifestation d’Israéliens pacifistes, un Israël du respect des valeurs essayait de manifester, de faire entendre la voix de sa douleur face à la violation du devoir de respect de l’altérité. C’est très grave, ce qui s’est passé.
Y a-t-il une facture de plus en plus grande entre les juifs modérés, qui dénoncent ces actes, et les juifs extrémistes ?
Il ne s’agit pas de juifs modérés. Il s’agit de la majorité de l’opinion israélienne qui récuse cette horreur absolue et la négation des valeurs universelles, et en l’occurrence des valeurs juives. Il y a une poignée de fanatiques que les services de renseignement intérieurs feront tout pour contrôler, même si c'est difficile. Un point de non-retour a été franchi, et ce meurtre va peut-être mettre le holà à ce cycle infernal. Mais d’autre part, tant qu’il n’y a pas une grande voix qui s’élève au sein de la population israélienne et au sein de la population palestinienne pour en appeler à l’apaisement, pour en appeler au respect de la vie humaine, on sera toujours sur une ligne rouge très dangereuse, une ligne de sang.
On apprend à l’instant que trois des six suspects ont avoué le meurtre du jeune Palestinien. Comment enrayer cette spirale ? Est-ce que, au-delà de l’Etat israélien, de l’Etat palestinien, la communauté internationale peut encore faire quelque chose ?
Bien sûr. Au plan international, tout le monde dit plus ou moins la même chose. Tout le monde est désespéré. Tout le monde appelle les deux parties à la retenue, etc. Mais en Israël, il y a quand même une très grande solitude. Et pour l’instant, la communauté internationale n’a pas été très efficace. D’abord du côté palestinien, les Palestiniens ont effectivement l’impression d’être entendus, mais à l'inverse, les Israéliens ont l’impression que, de toute façon, la situation réelle de leur population n’est jamais prise en compte.
Il faut quand même rappeler qu’il y a plus de 110 missiles qui se sont abattus sur le sud d’Israël en une semaine, qu’effectivement il y a des représailles d’Israël, et chaque fois ces représailles font des victimes. Mais en même temps, c’est le Hamas qui vise. C'est le Hamas dont on nous dit qu’il ne contrôle pas ces extrémistes dans la bande de Gaza. Le Hamas, qui fait partie désormais d’un gouvernement palestinien de coalition, organise tout de même des parades avec des missiles Qassam qui défilent et des enfants au bandeau noir de martyr. On ne peut pas décrire le Hamas comme un mouvement qui veut la paix et, de l’autre côté, dire qu’Israël fait tout pour alimenter l’état de guerre. Ceci n’est pas vrai. Il faudrait, encore une fois, qu’il y ait des voix qui s’élèvent au sein de ces deux communautés pour ramener les choses à la raison.