Le festival Babel Med, exigeant forum des musiques du monde, n’est pas habitué à ça : une star de la pop, un temps étiquetée «the israeli Madonna». Mais même si on ne risque pas de voir Rita un jour dans la collection Ocora, consacrée aux trésors de l’ethnomusicologie, la chanteuse était à sa place vendredi soir entre la Portugaise Lula Pena et le Malien Bassekou Kouyaté.

Copiées. Après un quart de siècle consacré à la variété plus ou moins discoïde, couverte de disques de platine, Rita a décidé en 2012 de plonger dans son enfance iranienne à travers douze reprises de tubes du swinging Teheran des années 60. Un projet qu’elle a défendu bec et ongles face à son entourage : «Tu es folle, tu vas ruiner ta carrière. Qui, en Israël, a envie d’écouter des chansons dans la langue d’Ahmadinejad ?» Réponse : tout le monde. My Joys, paru au printemps 2012, a valu à la chanteuse les meilleures critiques de sa carrière et la place de numéro 1 des ventes. Le succès a été le même en Iran, grâce à Internet. Même si le pays affiche son hostilité envers l’Etat hébreu, les chansons de Rita sont copiées, téléchargées, gravées.

Vendredi à Marseille, pour son unique concert en France avant une halte parisienne en juin, Rita, entourée de neuf musiciens dont un jeune et éblouissant virtuose du kamantché (vielle à quatre cordes), Mark Eliyahu, a déployé avec panache son exubérante pop orientale, vêtue d’une minirobe à franges très Tina Turner. Le lendemain, elle nous racontait son parcours, celui de bien des Juifs d’Iran. «Mon père était instituteur à Téhéran, mais pour nourrir les siens il cumulait les activités : il aidait son frère dans sa laverie, vendait des étoffes sur le marché… Ma mère était coiffeuse ; la journée, la chambre des enfants devenait le salon où elle recevait ses clientes.»

A Téhéran, la famille vit dans un quartier musulman. «Nous étions trois sœurs et, pour éviter les problèmes, nos parents nous avaient demandé de ne pas dire que nous étions juives. A 6 ans, je n’ai pas résisté, j’ai dit à ma meilleure copine: "Je te confie un grand secret : je suis juive !" Elle a ouvert des yeux ronds : "Ça veut dire quoi ?" Et moi : "J’en sais rien, mais je le suis."»

Tout se passe bien jusqu’à ce qu’un professeur de l’aînée lui demande de réciter ses prières devant le tableau. Incapable de répondre, elle rentre de l’école en larmes et, le soir, le père décide : «Il est temps de nous en aller.» En 1970, Rita a 8 ans, la famille accomplit l’alya, l’immigration en Israël. «Quand nous sommes arrivés, poursuit Rita, nous ne savions qu’un mot d’hébreu : shalom. A l’école, on m’a bien fait comprendre que j’étais différente, on m’appelait l’Iranienne.»

«Voie». Un émouvant documentaire retrace le parcours de la chanteuse. Rita Jahan Foruz, réalisé par Eyal Goldberg, la montre en studio mais aussi ses sœurs, sa mère, son père, lettré féru de poésie classique persane. On y voit aussi Rita dialoguer par Skype avec un fan en Iran. Le film s’achève avec son concert de janvier 2013 à New York, dans la grande salle des Nations unies. Rita venait d’être nommée ambassadrice de bonne volonté pour son rôle dans le rapprochement entre les peuples iranien et israélien. «Le secrétaire général, Ban Ki-Moon, m’a dit, avant que j’entre en scène : "Continuez dans cette voie, de nombreuses révolutions ont commencé par la musique."» Rita se dit «aussi iranienne qu’israélienne» et juge que «peu de gens en Israël connaissent la culture persane, ce qu’elle a apporté à l’humanité, dans la musique, l’architecture, la science, la poésie…»

L’expérience douloureuse de l’exil est partagée par les Juifs du Proche-Orient, ceux du Maghreb, mais aussi par les Palestiniens. Rita n’élude pas les questions politiques : «Le conflit entre Juifs et Palestiniens remonte au temps de la Bible. Pour le régler, il faut que, dans chaque camp, un homme intelligent et courageux dise : stop, ça suffit.» Après avoir fêté hier ses 52 ans, Rita Jahan Foruz devrait poster aujourd’hui sur le Net un message de vœux aux Iraniens de la planète, à l’occasion du Norouz, le nouvel an persan.